N'oubliez pas que le karaté commence et s'achève par le rei. Rei = « respect, courtoisie: le salut », mais ne pas le limiter à ces simples définitions. Il signifie le respect que l'on éprouve à l'endroit des autres. Le rei est également la marque de l'estime que l'on a pour soi. Lorsqu'on transfère cette estime que l'on a pour soi sur les autres - respect -, on agit conformément aux principes du rei. Les disciplines de combat qui font fi des principes du rei ne sont que pure violence, la force physique dénuée de rei n'est rien d'autre que brutalité, sans valeur pour l'être humain. Le rei est la manifestation physique d'un cœur sincère, révérencieux et empli de respect.
Il n'y a pas d'attaque dans le karaté. Dans le karaté, les mains et les pieds sont potentiellement aussi mortels que la lame d'un sabre : c'est pourquoi, quelle que soit l'adversité, il faut dans la mesure du possible chercher à décocher un coup mortel. « Jamais il ne faut tirer son sabre sur un coup de tête »; cet enseignement fondamental était au cœur du bushido japonais. Ainsi « il n'y a pas d'attaque dans le karaté » est une extension de ce principe de base selon lequel il ne faut pas sortir son arme au moindre prétexte. Elle souligne la nécessité absolue de faire montre de patience et de pondération. Mais quand la confrontation est inévitable, le pratiquant doit se lancer corps et âme dans le combat, et aller jusqu'au bout de l'extrême limite.
Le karaté est au service de l'équité. L'équité est ce qui sert le bien, la vertu : « Quand je m'observe et que je constate que je suis dans le vrai, alors, mes ennemis, fussent-ils un millier ou dix mille, ne peuvent m'arrêter. Cela implique bien sûr qu'il faut faire preuve d'intelligence, de discernement et de force véritable. »
Apprends déjà à te connaître, puis connais les autres. À force de pratique, le karatéka connaît ses techniques favorites ainsi que ses propres faiblesses; en combat, il doit connaître ses propres points forts mais aussi ceux de son adversaire.
Le mental prime sur la technique. Voilà une anecdote qui illustrera cet aphorisme: « Un jour, un célèbre maître de sabre, Tsukahara Bokuden, voulut mettre ses fils à l'épreuve. Pour commencer, il fit appeler Hikoshiro, l'aîné des trois. En ouvrant la porte du coude, celui-ci la trouva plus lourde qu'à l'accoutumée et, en passant la main sur la tranche supérieure de la porte, constata qu'on avait disposé, en équilibre, un lourd appui-tête en bois. Il l'enleva, entra puis le remit exactement comme il l'avait trouvé. Bokuden fit alors venir son fils cadet, Hikogoro. Quand celui-ci poussa la porte, l'appui-tête tomba mais il le rattrapa en vol et le remit à sa place. Bokuden fit enfin appeler Hikoroku, son benjamin, le meilleur, et de loin, au maniement du sabre. Le jeune homme poussa puissamment la porte et l'appui-tête tomba, heurtant son chignon. En un éclair, il dégaina le sabre court qu'il portait à la ceinture et trancha l'objet avant qu'il ne touchât le tatami. À ses trois fils, Bokuden déclara: « C'est toi, Hikoshiro, qui transmettra notre méthode de maniement du sabre. Toi, Hikogoro, en t'entraînant ardemment, peut-être égaleras-tu, un jour, ton frère. Quant à toi, Hikoroku, tu conduiras certainement un jour notre école à sa perte et attireras l'opprobre sur ton patronyme. Je ne peux pas donc m'offrir le luxe de garder un individu aussi imprudent dans mes rangs. » Sur ces vertes paroles, il le désavoua. Cela illustre parfaitement l'importance accrue des facultés mentales sur les facultés techniques.
L'esprit doit être libre. Meng Tsu évoque la quête de l'esprit « perdu » pour mettre un terme à l'errance spirituelle. Lorsque notre chien, notre chat ou nos poules se perdent, nous remuons ciel et terre pour les retrouver et les ramener à la maison, mais il déplore que lorsque notre esprit (qui dirige notre corps) s'égare pour finir par se perdre totalement, nous n'essayons même pas de le remettre sur le droit chemin. À l'inverse, Shao Yung soutient que l'esprit a besoin de se perdre : si l'on attache l'esprit tel un chat en laisse, il perdra sa liberté de mouvement. Utilisez l'esprit à bon escient, laissez-le explorer à sa guise, ne le laissez pas s'attacher ou s'enfermer dans un carcan. Les néophytes exercent souvent un contrôle trop pesant sur leur mental, ils craignent de s'ouvrir au monde et de laisser leur esprit courir librement. Au cours de l'apprentissage, il est préférable de suivre les consignes édictées par Meng Tzu dans un premier temps pour, dans un second temps, libérer l'esprit comme préconisé par Shao Yung.
Calamité est fille de non-vigilance. Combien d'accidents sont imputables à la négligence, à l'étourderie... Le moindre relâchement de l'attention peut réduire à néant les efforts de préparation et de recherche effectuées au préalable, si approfondis soient-ils. En combat, une « préparation bâclée » équivaut à un « désastre »; pour ne pas arriver à de tels extrêmes, nous devrions constamment analyser nos actes et faire montre de beaucoup de circonspection en matière de méthodologie.
La pratique du karaté ne saurait se cantonner au seul dojo. L'objectif du karaté est de polir et nourrir à la fois le corps et l'esprit; s'il commence au dojo au cours de la pratique, ce travail ne doit pas s'interrompre en fin d'entraînement. Il faut pratiquer continuellement, dans tous les actes de la vie quotidienne. Une alimentation déséquilibrée, un abus de boisson, des habitudes nuisibles à la santé en général auront des répercussions certaines sur la pratique au dojo. Ils fatigueront à la fois le corps et l'esprit et détourneront l'adepte du dessein ultime de la pratique.
Le karaté est la quête d'une vie entière. La voie du karaté est sans fin, et c'est la raison pour laquelle un pratiquant sincère pratiquera jusqu'à son dernier souffle. Dans Hagakure, le seigneur Yagyu déclarait qu'il ne savait pas comment défaire les autres, mais qu'il savait comment l'emporter sur lui-même: être meilleur aujourd'hui qu'hier et meilleur demain qu'aujourd'hui. C'est-à-dire, travailler sans relâche et jusqu'au dernier souffle pour sans cesse progresser. La voie véritable est infinie.
La voie du karaté se retrouve en toute chose, et c'est là le secret de sa beauté intrinsèque. Un coup, de poing ou de pied, asséné ou encaissé, peut signifier vie ou mort. Telle est la doctrine au cœur du karaté-do. Si chaque domaine de la vie est abordé avec un tel sérieux, épreuves et difficultés peuvent être dépassées. Si un pratiquant affronte chaque difficulté en ayant le sentiment que sa vie entière est en jeu, il réalisera l'étendue de ses propres ressources.
Pareil à l'eau en ébullition, le karaté perd son ardeur s'il n'est pas entretenu par une flamme. L'apprentissage par la pratique revient à pousser une charrette vers le sommet d'une colline. Cessez de pousser et tous vos efforts auront été vains. Proverbe japonais. L'intégration d'une facette du karaté parmi d'autres, ou une pratique distendue, ne saurait suffire. Seule une pratique régulière et assidue récompensera votre corps et votre esprit des fruits de la voie.
Ne soyez pas obsédé par la victoire; songez plutôt à ne pas perdre. Savoir uniquement comment décrocher la victoire sans savoir comment perdre revient à se mettre soi-même en situation de défaite, ultimes paroles du shogunTokugawa. L'attitude mentale obsédée par la victoire nourrit nécessairement un optimiste excessif qui, à son tour, nourrit impatience et irritabilité. L'attitude la plus fine consiste, au contraire, à se résoudre fermement à ne pas perdre - quel que soit l'adversaire - en prenant conscience de nos propres forces et en faisant preuve de conviction inébranlable, le tout en adoptant une attitude conciliante dans la mesure du possible.
Ajustez votre position en fonction de l'adversaire.
L'issue d'un affrontement dépend de votre manière de gérer les pleins et les vides (forces et faiblesses). Les préceptes treize et quatorze évoquent l'attitude mentale à suivre en combat. Un combattant doit pouvoir et savoir s'adapter à son adversaire; comme l'eau qui s'écoule naturellement du haut vers le bas, le combattant évite les points forts de l'ennemi pour le frapper là où il est vulnérable. Il doit éviter toute action stéréotypée, et le maître mot de sa conduite doit être fluidité, souplesse et adaptation plutôt qu'inertie et constance.
Considérez les mains et les pieds de l'adversaire comme des lames tranchantes. Un pratiquant sincère du karaté-do saura rendre ces extrémités corporelles aussi dangereuses que des armes blanches. Dans cette optique, même les mains et les pieds d'un non-pratiquant peuvent s'avérer dangereux. Un néophyte qui s'implique corps et âme dans une lutte pour la vie, sans craindre ni blessure ni trépas, peut libérer une puissance considérable et extraordinaire et être capable de défaire n'importe quel débutant. Que l'adversaire soit ou non initié aux arts martiaux ne doit en aucun cas nous leurrer sur son potentiel.
Faites un pas hors de chez vous et ce sont un million d'ennemis qui vous guettent.
Le kamæ, ou posture d'attente, est destiné aux débutants; avec l'expérience, on adopte le shizentai (posture naturelle).
Recherchez la perfection en kata; le combat réel est une autre affaire. Les katas sont la moelle de l'entraînement du karaté-do, il convient de ne pas les dénaturer et de s'y entraîner conformément à l'enseignement dispensé par le maître. Anko Itosu disait : « Respectez la forme des katas, ne cherchez pas à en travailler l'esthétique. » En combat réel, il ne faut pas s'embarrasser ou se laisser entraver par les rituels propres aux katas; le pratiquant doit dépasser le cadre imposé par ces formes et se délacer librement en fonction des forces et faiblesses de l'adversaire.
Sachez distinguer le dur du mou, la contraction de l'extension du corps et sachez moduler la rapidité d'exécution de vos techniques. Les combinaisons citées dans ce précepte s'appliquent aussi bien en kata qu'en combat réel. Si l'on exécute les katas sans combiner la possibilité de moduler l'intensité et le rythme des techniques ou l'alternance extension/contraction, l'exercice perd toute sa valeur. L'alternance dur-mou, extension-contraction, lenteur-célérité, inspiration-expiration est de première importance en combat et peut déterminer l'issue d'un affrontement.
Vous qui arpentez la voie, ne laissez jamais votre esprit s'égarer, soyez assidu et habile. Que l'on adopte un point de vue spirituel ou technique, le pratiquant ne doit jamais laisser son esprit « s'égarer » et doit être « assidu et habile ». De nombreux maîtres ont illustré ce précepte: